Pain brûlé
Tous
ses cartons sont prêts, elle attend le petit camion de location, et va acheter
du pain pour son petit déjeuner. Lorsqu’elle entre, le boulanger cesse de
plaisanter avec sa cliente.
Elle demande un pain spécial. C’est le meilleur de la boutique, mais elle ne vient que pour les tempes grisonnantes du boulanger, son allure virile, qui dégage une impression de puissance.
Elle
observe ses deux doigts jaunis : il fume en faisant le pain. Un jour elle a
décelé un peu de cendre dans la mie du pain spécial, et elle l’a trouvé
presque meilleur.
Elle
ne regrettera rien de cette petite ville, collègues, élèves, parents. Elle y a
eu quelques satisfactions professionnelles, un projet de théâtre avec les
enfants, soutenu par les créateurs
locaux, mais elle n’a pas réussi à s’y plaire.
Seule
sa visite quotidienne au boulanger lui manquera. Quelque chose de profond et
doux dans le regard. Pourquoi ne plaisantait-il pas avec elle ? Elle aurait
aimé qu’il lui dise «alors ma petite dame, qu’est-ce que je vous donne ce matin
?» assorti de l'un de ses propos légèrement grivois.
Elle
rêvait parfois qu’il l’attendrait à la sortie de l’école, un jour de pluie :
«c’est ma tournée, je vous ramène chez vous». Elle l’aurait fait entrer, lui
aurait offert un petit blanc. Il l’aurait prise dans ses bras, brusquement, un
peu sauvagement. «Ah, j’ai tellement envie de vous !» Elle aurait résisté
quelques secondes, et ils auraient roulé sur le tapis.
-
Merci...Je déménage aujourd’hui.
- Ah ?
Il rougit un peu.
- Eh
bien bonne chance alors.
Elle
sort.
Elle jette le pain dans la
première poubelle.