La lueur des vitrines laisse deviner le visage blafard de la mère. "C'est un fou de Bassan" murmure-t-elle. "On a vu le loup ?" demande l'enfant. "Non, ce n'était pas un loup" "Mais où est papa ?" On entend au loin les pleurs étouffés d'un bébé, des pas assourdis. "On va voir les dinosaures?" "Oui on va y aller". Elle le prend par la main. Au détour d'un couloir obscur, une femme leur indique l'ascenseur. A l'étage, ils sont arrêtés devant un squelette gigantesque. "C'est un ptérodactyle" souffle la mère. "Il est où papa ?"
Le
kinésithérapeute que je consulte pour un redoutable lumbago, m'examine sous toutes les coutures, et me
déclare :
-Vous
êtes sportive !
Pas
l'once d'une interrogation dans sa voix, une affirmation. Pourtant mon capital
adipeux surpasse de beaucoup mon capital musculaire.
-Non !
-
Alors vous l'avez été !
Etre
ou avoir été...Il insiste.
-Non !
Enfin, à peine, comme tout le monde, si peu.
-
Pourtant vous êtes taillée comme une sportive.
Je
vais finir par le croire, malgré ma petite taille , ma jambe plus courte que l'autre
et mes rondeurs.
-Ah
bon ? Vraiment ?
-Oui,
vous auriez pu être championne du cent mètres.
-En
course à pied ???
-Oui !
Alors
là, je frise le scepticisme : j'ai toujours été très mauvaise en gymnastique au
lycée, les seules disciplines dans les quelles j'excellais étant le grimper à
la corde et la danse moderne.
-Mais
je n'ai pas de souffle !
-Pour
le 100m vous n'en avez pas besoin, vous n'avez pas le temps de respirer.
-Ah..oui...Quoique
il y a deux ans j'ai fait une course de dix kilomètres...Je suis arrivée
avant-dernière.
-Normal,
l'endurance c'est pas votre truc.
Je le
savais : les efforts intenses et courts plutôt que longs et intenses. Mais tout
de même, il m'ouvre des horizons cet homme. J'imagine déjà l'entrainement
régulier, le bandeau sur le front, et les mollets d'acier.
Un
bistrot du quartier de l'Opéra. Deux hommes, jeunes. Gris : cheveux gominés
vers l'arrière, lunettes rectangulaires. Beige : cheveux gominés
légèrementbouclés.
B: -
En 2008 c'est décidé je fais le tour du monde.
G: -
Oui, ça peut se faire.
B: -
2007, c'est ma dernière année de salarié.
G: -
Ah ?
B: -
Oui, le plus chiant avec ce boulot, c'est les courbettes au patron. Je supporte
pas. Dire bonjour au patron tous les matins. Le client, je me lève pour lui
dire bonjour. Et puis bosser pour un patron qui roule en C5, ça m'écoeure. D'accord,
la C5, c'est une jolie voiture, mais tu imagines le train de vie qui va avec :
la maison, les sorties, ça fait pas rêver. J'aimerais bosser pour un patron qui
roule en Maserati.
G:
-...
B: -
Je veuxun train de vie de Maserati.
G: -
Pour y arriver, c'est pas encore !
B: -
Ou alors faut trouver une femme très riche !
G: -
Je suis déjà sorti avec une fille très riche. Elle avait de très gros seins, un
joli visage, de jolies petites fesses, mais j'avais pas les épaules assez
larges. J’ai pas pu la garder.
B: -
Ah...
G: -
Ta copine a l'air douce.
B: -
Oui, mais je crois que je vais pas rester longtemps avec elle. Je préfère
enchaîner les relations.
G: -
Ah bon ?
B: -
Oui, je suis résigné là-dessus, je suis solitaire.
G: -
Tu dis ça parce que tu n'as pas rencontré la bonne. Un jour ça te tombera
dessus, tu ne te poseras plus de question. Pas du tout ce que tu avais imaginé.
Même pas ton genre de fille.
J'ai
même un pote qui sort avec une vieille !
Gris
jette un regard à la table voisine et se tait brusquement.
J’ai
rempli le seau d’eau chaude. Deux poignées de lessive saint Marc à la résine de
pin. Si je ferme les yeux, ce mélange boisé savonneux rappelle un peu la
térébenthine et me replonge dans l’atelier de peinture de mon grand-père.
D’abord,
j’ai passé la serpillière à l’eau claire, pour enlever le plus gros. Je l’ai
tordue essorée plusieurs fois, en contemplant l’eau légèrement colorée que je
vidais au fur et à mesure. Maintenant je vais passer le balai espagnol pour
finir. Je voudrais que tout soit net quand ils arriveront.
J’ai
rencontré Gisèle au salon de thé « les délices de Sapho ». J’ai demandé à
m’asseoir à sa table, étonnée de mon audace. J’étais sure de moi. Tout
naturellement nous sommes ensuite sorties déambuler en ville, puis je l’ai
invitée à dîner chez moi. En marchant, elle passait parfois son bras sur mon
épaule.
Pendant
que je préparais le repas, elle est allée prendre une douche pour se
rafraîchir. Elle est revenue, derrière moi, j’étais devant l’évier, elle a posé
ses mains autour de mon cou. Je me suis retournée. Elle était nue et magnifique
et son corps dégageait un parfum d’algue et de miel et de félin,une évocation de l’enclos des tigres au zoo.
Son visage m’appelait si fort, quelque chose d’irrépressible m’attirait vers
elle. Si belle. C'était plus fort que moi, comme une vague qui m'a submergée.
Elle
est encore si belle.
Le
couteau, un couteau de cuisine de vingt centimètres, en acier de Solingen,
inoxydable, offert par ma grand-mère lorsque j’ai emménagé, je l’ai lavé et
reposé sur la paillasse.
Ca
sent la rouille et l’urine. J’ai un peu envie de vomir.
égrenant les heures le va
et vient du pendule est imperturbable
Enfants
sur un manège. Ciel indigo. Nuages étincelants. Cheval noir ou blanc. Echeveau
de crin, crinière de bois brun. Certains veulent sauter en marche. Envie de vomir,
mal au cœur. Vertige. Trop vite. De circonférences en spirales de nausée. Les autres ne se lassent jamais, tournent
jusqu’au soir, jusqu’à la nuit tombée, aspirent l’air fraîchissant. Changent de
destrier. Fourmi géante, aux antennes de laiton, aux yeux de chêne. Machine
volante de Léonard de Vinci. Chimère aux ailes de cuir. Les couleurs se mêlent se mélangent et se
fondent. L’orgue de Barbarie lancine sa rengaine limonaire.
Descendre. Trop tôt
? C’est le moment. Et la
peur ? La poitrine se soulève, trop rapide, sous la blancheur du drap. Un
faible sourire éclaire les lèvres, noircit le regard.