Soir de vent
L'ainé saisit un bâton, et traça, autour du feu et des enfants rassemblés, un cercle
dont il prit grand soin de parfaitement le conclure. Alors tous ensembles
purent commencer leur litanie.
- Elle
me fait peur ton histoire !
Lovée sous sa couette elle observe son grand-
père dans la pénombre. Gravement brûlé à l’époque où il travaillait avec un
cirque de rue, il n’a plus de paupière ni de lèvre sur la partie gauche de son
visage. Sa peau luisante, parcourue de bourrelets blancs, se plisse autour de
sa bouche. De son oreille ne reste qu’un morceau de cartilage. Son bras gauche est
atrophié, replié sur sa poitrine. Le soir il se déplace sur une chaise
roulante. Encore jeune, il part chaque matin vers un lieu qui lui est inconnu. Sifflements
et rumeurs emplissent la pièce.
- Qu’est-ce
que c’est grand-père ?
- Quoi
?
- Mon
lit bouge
- C’est
le vent ! Lorsqu’il souffle aussi fort, à cette hauteur, on sent l’immeuble se
balancer.
- J’ai
peur… Dis ?
- Oui ?
- Tu
crois qu’il était effrayé le frère aîné ?
- Il
était terrorisé, mais il ne le montrait pas. Il fallait que les autres le
croient fort, pour avoir du courage.
- D’où
te vient cette histoire?
- Elle
se transmet de père en fils dans ma famille depuis des générations.
- Mais
moi je suis ta petite fille !
- Oui,
mais ton père n’est plus là, tu es la seule à qui je puisse la dire.
Elle
touche sa main. « Est-il son grand –père
? Ou quelqu’un qui aurait pris sa forme ? Ou quelqu’un qu’on lui aurait
toujours dit être lui, mais qui serait quelqu’un d’autre ? »
- Emmanuel
?
- Oui
ma chérie ?
Sa
voix chaude la rassure.
- Il
avait les yeux de quelle couleur ?
- Jaunes.