Travaux d'aiguilles
Ma
grand-mère me tricotait des pulls. Parfois elle devait en refaire une partie
pour l’ajuster. Elle en fabriquait aussi de nouveaux avec la laine des
anciens. Doublement ouvragés, ces vêtements me semblaient chargés de deux fois
plus d’amour.
De la
même façon, les livres qui sont passés dans d’autres mains recèlent pour moi
plus d’émotion. En
troisième, je dévorais tous les ouvrages conseillés par ma prof' de
Français en pensant que ses yeux s’étaient posés sur les mêmes lignes, même si c'était sur d'autres pages d'un autre volume .
Mes
camarades se pâmaient devant les mini jupes et les bottes de cuir de notre
professeur de Latin aux longs cheveux blonds. J’admirais mademoiselle Laplau.
Jupes plissées, corsages boutonnés jusqu’en haut, cheveux courts, lunettes, et
petit air revêche qui laissait présager une infinie douceur.
Buvant
ses paroles, au premier rang, je me voyais prenant des cours particuliers dans
son salon un peu austère. Sagement assis à côté d’elle, je respirais le parfum
de savonnette, et me régalais de ses explications attentives. Ma main alors se
hasardait timidement à effleurer le pli de la jupe, mon épaule à frôler la sienne.
Sa voix devenait un peu plus rauque, sa respiration légèrement plus rapide. Je
me risquais à défaire un puis deux boutons du chemisier. Glisser une main le
long du collant en tremblant un peu, jusqu’à...
-
Bertrand ?
- Oui
madam' ?
- Le
premier mot qui vous vient à l’esprit ?
-
Couture !
Hilarité
générale : la classe travaillait sur la poésie par associations d’idées, je
n’avais rien suivi...
- Vous
rêviez jeune homme !
Se
tournant vers la fenêtre, où brillait un joli soleil d’avril, elle défit
machinalement le premier bouton de sa blouse.
Je
crois avoir versé une larme de reconnaissance.